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15 février 2011

Lettre à Silada

Je pense souvent à toi, petite Silada. Les années s'écoulent dans ta vie, comme dans la mienne. Pourtant, les souvenirs que j'ai de toi les traversent, intactes, purs. Je me souviens de notre première rencontre dans cette atmosphère et cette odeur âcres. Je me souviens de mon premier regard sur ton petit visage halé, de tes cheveux noirs, hérissés. De tes yeux noirs. Noirs et sombres. J'avais beau les scrupter, je n'y lisais rien. Ils restaient, comme restait ta bouche, muets. C'est à ce moment précis que j'ai su, c'est à cette seconde que j'ai compris. Petite Silada...Tu ne disais rien mais je t'endendais. J'ai tout entendu. Je t'ai prise dans mes bras, petite Plume, petite poupée de chiffon abandonnée dont le corps ne réagissait. Comme j'ai eu mal.

Encore.

Je me rappelle de ta bouche, de tes lèvres fermées, soudées. Mes yeux ne te lachaient plus...Et je te parlais, te souriais,  je te racontais des douceurs ...De ces douceurs que tout enfant est en droit de recevoir. Je te câlinais d'Amour, le mien. Celui de ta maman était bien réel petite Plume ...Mais il était tellement loin, tellement absent.

Le mien était là. Il n'était là que pour toi.

Je ne saurais dire combien de ces rencontres ont dû être nécessaires pour que tu t'autorises à le prendre. Je ne saurais dire, compter les fois où, te couvrant, t'enveloppant, te berçant, j'ai attendu patiemment de ta part, une réaction. Une réponse. Les semaines s'écoulaient mais en vain. Tu ne le prenais pas, ne l'acceptais pas. Oui Silada, ce n'était pas de mon Amour dont tu avais besoin, celui que tu voulais, celui que tu attendais. J'étais une maman, oui. Mais je n'étais pas la tienne.

Je me rappelle...Encore. Mes visites deux fois par semaine chargée d'un sac magique ! Un sac à surprises dont j'adorais t'en faire l'inventaire, te faire découvrir. J'en retirais, un à un, les effets apportés spécialement pour toi, rien que pour toi. Ces petites choses qui, pour une fois, t'appartenaient. Que personne d'autres ne toucherait, à part toi. Te souviens-tu Silada ? Te souviens-tu de ces petites robes, de ces petites chaussures que tu adorais parce qu'elles couinaient à chacun de tes pas ? Du lait de toilette qui fleurait bon et dont je recouvrais ton petit corps pour cacher cette odeur acide, odeur que je sens encore bien présente, à ce moment où j'écris ces lignes  malgré le nombre des années ? De cette peluche ? De cette poupée ? Des petits suisses, interdits par le règlement, que tu adorais et que je te faisais manger en cachette des nounous de service, apportant un plus, un plaisir à ton alimentation ? Je ne te quittais pas des yeux, là. Tu regardais tout cela sans grand intérêt, n'y prêtant que peu d'attention. Jusqu'à ce qu'un jour...

Ce jour où tu me fis un beau cadeau. Ce jour où tu t'autorisais à me livrer une réponse en portant ta main sur la bandoulière de ce sac, dès mon arrivée, me faisant comprendre, impatiente, que le moment magique, le tien, était arrivé. Quelle belle émotion tu m'as fait vivre petite Plume...! Notre relation prenait vie, enfin. Ton regard s'exprimait,enfin. Tes lèvres souriaient, enfin. Tes bras se tendaient vers moi, enfin. J'aimais te voir plonger ta petite main dans le fond du sac pour en sortir tes petites affaires. Celles qui ne rentreraient pas dans le cycle antipersonnel dans lequel, y compris toi, étiez plongés...Tu étais Quelqu'un, quelqu'une parmi tant d'autres...

Enfin, j'avais réussi. Ma belle victoire était là. Ma "mission" accomplie. Je t'ouvrais à la vie. Tu m'ouvrais à la mienne. Encore.

Et quelle déchirure, pourtant, lorsque l'heure de la séparation sonnait. Lorsque l'heure du "dépouillement" était venu ! L'on t'avait dépossédée de l'Amour de tes parents, l'on t'avait tout enlevé et moi, Etre coupable, je m'apprêtais à emboiter le pas à cette injustice que nous t'infligions tous...Car l'heure était venue. Je me permettais de te déposséder, encore une fois, de tout.

Je me souviens......Lorsque l'heure sonnait. Je te déshabillais de ta jolie robe fleurie. Je retirais tes petites chaussures "couic-couic" le lait, les poupée et peluche et les rangeais dans le sac qui perdait d'un coup, en une fraction de seconde, toute sa magie pour toi comme pour moi. Je repartais alors comme une voleuse, honteuse de l'acte. Cela m'était insupportable. Cela me révoltait. Mais là où tu vivais, rien n'appartenait à personne. Tout appartenait à tout le monde. Mais çà, je ne pouvais l'accepter, je le refusais pour toi. Ces effets t'appartenaient. Peu de choses certes, mais ils étaient les tiens. Hélas, là dans la "maison" où tu vivais l 'on ne te l'autorisait pas...Même si peu, même pas çà.

Une heure et demie de route nous séparait de ces rencontres mais rien n'aurait pû les empêcher. Notre relation était devenue très forte. Mes compagnes de coeur avaient remarqué le changement flagrant de ton état général. Tu étais "vivante". Devenue communicative, je me régalais de nos échanges. De ces moments où lorsque je te chantais des chansons, tes yeux m'écoutaient, m'entendaient...Je te découvrais. Tu m'offrais, à ton tour, un petit sac magique !

Bien des semaines s'étaient écoulées depuis notre première rencontre. Et quelle évolution ! Tant et si bien qu'il me fut autorisé, sur ma demande, à te sortir de cette "maison" pour t'inviter à découvrir la mienne. Te souviens-tu ?

...Du bain joyeux, de la mousse, de tes rires lorsque tu voyais les bulles de savon envahir la salle de bain et que je faisais exploser en les touchant de mon doigt : "ding..ding.." comme si elles étaient des notes de musique ? Te souviens-tu des petits suisses engloutis  sans nous cacher ? Te souviens-tu, assise sur mes genoux, posant tes petites mains sur le clavier de mon piano et tapotant les touches de tes petits doigts ? Tu portais cette jolie petite robe fleurie, tes chaussures "couic-couic" et tu sentais bon le lait de bébé.

Moi, je m'en souviens...

Je me souviens lorsque fut le moment de repartir. J'ai eu mal, là. Encore. Ta "maison" te réclamait...

Ce que tu ne sais pas Silada....Tu ne sais pas que je t'ai cherchée, un jour. Je t'ai cherchée sans te retrouver. J'avais beau posé des questions au personnel de service, personne ne me répondait ou ne voulait me répondre. Je suis allée au bureau de l'intendance de ta "maison" pour savoir où tu étais petite Plume...Et là, j'ai su. J'ai su que je ne te reverrai jamais plus.

Silada..L'orphelinat de Pakret ne sera plus jamais ta maison.

Silada existe, elle est réelle comme l'est cette histoire. Comme l'est cette histoire d'Amour vécue, en Thaïlande avec une petite fille abandonnée par ses parents à sa naissance. Elle avait à peine deux ans lorsque nous nous sommes rencontrées. Elle a aujourd'hui 9 ans. Elle a été adoptée et vit en Allemagne aujourd'hui.

Elle ne portera jamais mon nom.

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